En août 2021, le studio montpelliérain faisait des émules par-delà les frontières avec Road 96. Un road trip haut en couleur qui avait l’ambition dévorante de bousculer les codes du jeu narratif en s’appuyant sur des récits générés de manière procédurale.
Un pari à moitié réussi avec ses histoires sous fond de tyrannie, de liberté et d’adolescence qui ont su trouver écho chez les amateurs du genre et ont permis aux développeurs d’être sacrés avec cinq Pégases. Cependant, la première histoire que DigixArt nous a racontée, c’est celle de l'ascension d’un studio indépendant français qui a su se faire un nom grâce à 11-11 Memories Retold. Mais avant de se frotter à l’histoire de l’Europe, l’équipe de Yoan Fanise (Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre) a fait un essai plus timide sur la scène du jeu mobile musical avec Lost in Harmony.
Peut-être par nostalgie ou par simple plaisir de se replonger à moitié dans ce premier titre méconnu du grand public, le petit studio a décidé d’allier le meilleur des deux mondes avec Road 96 Mile 0. Une préquelle qui met en scène la fougueuse Zoé, l’une des plus belles rencontres sur les routes du jeu original, et Kaito, le héros de leur toute première production. Une préquelle qui mélange leurs univers et gameplay le temps d’une courte aventure narrative à phases musicales qui ne parvient jamais à retranscrire le charme de Road 96.
Retour à Petria
1er mai 1996 à Petria. Loin des routes escarpées, il se murmure dans les quartiers riches et paisibles de White Sands que son incroyable président, le seul l’unique Tyrak s’apprêterait à annoncer son énième candidature. Un événement attendu fébrilement par la communauté endoctrinée par celui qui les dirige d’une main de fer. Plus lucide, la classe populaire est insensible à la propagande de ce régime totalitaire aux lois liberticides. Elle espère secrètement un nouveau coup d'État des Brigades Noires, un groupe terroriste associé aux attentats de 86 visant à détruire le Mur érigé à la frontière. Alors que des rumeurs insistantes évoquent des jeunes qui défient le régime et prennent la route pour fuir ce merveilleux pays, deux ados refont le monde dans leur planque.
D’un côté Zoé, issue de la classe riche et fille d’un ministre, qui mène franchement une belle vie. De l’autre, Kaito qui a grandi dans la ville nettement plus pauvre de Colton City et déménagé à White Sands dans l’espoir d’échapper à la pollution après qu’elle ait emporté sa meilleure amie Aya. Deux personnages et deux mondes pour deux perspectives opposées sur la vie à Petria. Dans la peau du duo, le joueur sera alors amené à découvrir les raisons qui ont poussé Zoé à quitter ce pays qu’elle aimait tant et sa petite vie confortable pour prendre la route l’été suivant. Road 96 Mile 0 trouvera principalement écho auprès des joueurs qui souhaiteraient en apprendre davantage sur le passé du personnage. Dans les faits, c’est une préquelle assez intéressante qui épaissit l’une des vedettes du casting du jeu original et son univers. Et à la question faut-il avoir joué au jeu de base pour comprendre les tenants et aboutissants de ce titre ? La réponse est non. Et ce n’est peut-être même pas plus mal de le lancer à l’aveugle tant on voit venir tous les plot-twists dès les premières minutes. En l’état, cet antépisode manque de mordant, de moments forts. On ne pourra pas lui retirer de conserver ce grain de folie, ce côté pop et coloré qui avait donné un véritable cachet à son grand frère grâce à des scènes barrées qui ne manqueront pas de nous décrocher un sourire, mais il lui manque tout ce qui faisait le charme de Road 96.
Plusieurs fausses notes
Pas d’histoires procédurales, pas d’éléments de roguelite, pas de rencontres aléatoires, pas de panoramas dépaysants. Road 96 Mile 0 est finalement une préquelle classique et très, peut-être même trop, balisée. Au travers de nos actions, des dialogues et des divers choix, la psychologie des deux adolescents changera tout comme le déroulé du scénario, du moins dans son ultime partie. Est-ce que Zoé continuera à croire aveuglément les mensonges racontés au quotidien ? Commencera-t-elle à tout remettre en doute ? La rage de Kaito contre le gouvernement atteindra-t-elle son paroxysme ou deviendra-t-il plus mesuré ? Au joueur de choisir au travers de tags, de discussions et lors de quelques scènes clés. Les interactions sont finalement assez minimes et l'impact des choix l’est tout autant avant le grand final, avec seulement quelques variations au rendez-vous, certaines étant bien senties.
De par sa construction plus classique, Road 96 Mile 0 fait pâle figure par rapport à son aîné en termes de rejouabilité, malgré sa courte durée de vie. Comptez 5 heures pour voir le bout de l’histoire deux de plus si vous souhaitez trouver les collectibles qui se résument ici à des autocollants et des bombes de peintures pour taguer et décorer votre planque. La petite originalité du jeu est elle aussi en demi-teinte. Chaque acte se termine avec des sections musicales psychédéliques qui nous plongent dans le monde intérieur du duo. Autant dire que DigixArt s’est fait plaisir avec une mise en scène franchement réussie à tous les niveaux et avec des tableaux délurés voire même impressionnants. Une véritable réussite artistique lors de certains morceaux, à défaut de pouvoir nous faire voyager lors des phases plus classiques.
Les métaphores, les doutes, les rêves des deux personnages défilent sous nos yeux alors que l’une roule à toute vitesse sur ses patins à roulette et l’autre glisse sur son skateboard. Lors de ces séquences le but du jeu est simple : ramasser des étoiles sur le chemin, éviter les obstacles, essayer de faire péter le meilleur combo possible et parfois même faire des choix débouchant sur des séquences différentes. Là aussi c’est classique, le gameplay se résumant à bouger horizontalement, à se baisser ou s’accroupir et à réussir des QTE permissifs. Sans de grosses sensations de vitesse ou de véritables mécaniques pour pimenter le tout, c’est assez mou et ça manque de nervosité. Et le problème sur consoles, c’est que la maniabilité souffre encore de cette lourdeur des joysticks présente dans le portage et qui laisse ici peu de marge à l’erreur et rend tout plus fastidieux. Et puisque qu’on parle de la version PS5, on pestera également sur des temps de chargement beaucoup trop longs et une technique parfois bancale.
On a beau être amateur de ce genre de jeux, et du genre à essayer d’avoir le meilleur rang à chaque chanson, le manque de fluidité sur console aura eu raison de notre côté try harder. Un millième de seconde trop tôt ou trop tard et vous recommencez la séquence, encore et encore. L’interlude musical perd alors en rythme, en dynamisme et c’est d’autant plus regrettable que Road 96 Mile 0 ne déçoit pas sur sur son point névralgique : la musique. DigixArt nous offre encore de belles pépites, aussi bien celles composées spécialement pour le jeu que les chansons d’artistes connus qui viennent donner corps à la psyché des deux adolescents et jouent un rôle essentiel dans la construction de l’histoire.